Très souvent, lorsque les gens vous appellent, ils commencent par une question insupportable : « Je ne vous dérange pas ? ». C’est un piège. Car il serait impoli de répondre « Oui, vous me dérangez ! ».
Et si vous optez pour le timide « Oui, vous me dérangez un peu, j’avais réussi à me concentrer sur une tâche et là j’aurai du mal à m’y replonger », la personne pourra vous dire « Et bien pourquoi vous décrochez, dans ce cas ! ».
Donc même si on les dérange vraiment, la plupart des gens répondent « Non… ».
Et là, c’est la porte ouverte à toutes les fenêtres. Même si votre « Non » était dit par politesse, c’est comme si vous veniez de dire « Non, je regardais le mur de mon bureau ! », ou bien : « Non, je suis payé à ne rien faire, je suis content que vous m’appeliez car je commençais à m’ennuyer ! ».
Car la vraie raison de la question « Je ne vous dérange pas ? », c’est que votre interlocuteur s’apprête à vous prendre en otage pendant de longues minutes, et qu’il refuse d’en porter la culpabilité. « Comment ça je vous ai fait louper trois réunions, un déjeuner avec des collègues et l’appel de votre patron ? Vous avez dit que je ne vous dérangeais pas ! ».
La pire des mesquineries est qu’il vous demande s’il vous dérange avant même d’avoir dit de quoi il voulait parler. Il y a une différence entre « Ça vous dérange si je vous révèle un secret qui vous rendra millionnaire ? » ou bien « Ça vous dérange si je vous parle de la réglementation européenne du viager transposée en droit irlandais ? »
Alors je vous mets en garde : ne répondez jamais « Non » à la question « Je ne vous dérange pas ? ». C’est comme pour les opérateurs de call center à qui il ne faut jamais dire « Oui ». Ils ont devant eux un arbre de décision conversationnel et leur objectif est de vous faire répondre « Oui » le plus de fois possible. Car psychologiquement, plus on dit oui, plus on sera enclin à dire oui. « Vous êtes bien monsieur Dupont ? – Oui. – Vous habitez en France ? – Oui. – Vous avez un numéro de téléphone ? – Oui. – Donc vous êtes prêt à acheter de nouvelles fenêtres ? - Oui, enfin, non ! »
Quand on vous appelle, c’est pareil : le premier objectif est de vous faire répondre « Non » à la question « Je ne vous dérange pas ? ». Alors mettez un point d’honneur à ne pas le dire. Jouez à ni oui ni non, et répondez par une injonction : « Je vous écoute », ou « Dites-moi ? », ou « Allez-y ». Ainsi l’interlocuteur, gêné, sera obligé d’embrayer tout en sachant qu’il vous dérange, car vous êtes quelqu’un de très occupé qui n’a pas de temps à perdre. Et puis, pendant qu’il présente ses requêtes, rien ne vous empêche de vous détendre en regardant le mur de votre bureau…