Plusieurs milliers de musulmans ont participé vendredi à Istanbul à la première prière organisée à l’ex-basilique Sainte-Sophie depuis sa reconversion controversée en mosquée, en présence du président Recep Tayyip Erdogan qui cherche à galvaniser son électorat conservateur. Agenouillé sous la majestueuse coupole de Sainte-Sophie et coiffé d’une calotte islamique, M. Erdogan a récité une sourate du Coran avant d’écouter le prêche du chef de l’Autorité religieuse, Ali Erbas, qui tenait un cimeterre, symbole de conquête pour les Ottomans.
Pandémie de nouveau coronavirus oblige, seulement quelques centaines de personnes ont été autorisées à prier à l’intérieur de cet édifice construit par les Byzantins au 6ème siècle et classé au patrimoine mondial de l’humanité. Mais après l’appel à la prière qui a résonné des quatre minarets de Sainte-Sophie, des milliers de fidèles se sont prosternés en rangs serrés sur le parvis et dans les rues adjacentes, masque sur le visage et sous un soleil de plomb.
"C’est un moment que nous pourrons raconter à nos petits-enfants. C’est un événement, un pas en avant très important pour nous", s’enthousiasme Gülsan Kaya, 34 ans, qui s’est "levée à 6 heures du matin pour venir". Plusieurs fidèles ont même passé la nuit sur place. Il s’agit de la première prière collective organisée depuis 86 ans à Sainte-Sophie, oeuvre architecturale majeure qui est importante à la fois pour les chrétiens et les musulmans, ayant été successivement une basilique byzantine, une mosquée ottomane et un musée.
Après une décision de justice révoquant son statut de musée datant de 1934, M. Erdogan a décidé le 10 juillet de rendre l’édifice au culte musulman, une mesure critiquée par plusieurs pays et par le pape François qui s’est dit "très affligé". Pendant la prière, les mosaïques byzantines ont été dissimulées par des draps blancs, l’islam interdisant les représentations figuratives. Sainte-Sophie "redevient une mosquée.
Si Dieu le veut, elle continuera de servir tous les croyants comme mosquée pour l’éternité", a déclaré le président turc après la prière. Pour nombre d’observateurs, la reconversion de Sainte-Sophie en mosquée vise à galvaniser la base électorale conservatrice et nationaliste de M. Erdogan, dans un contexte de difficultés économiques aggravées par la pandémie.
En prenant cette décision, le chef de l’Etat, souvent accusé de dérive islamiste, s’attaque aussi à l’héritage du fondateur de la République, Mustafa Kemal, qui avait transformé Sainte-Sophie en musée pour en faire l’emblème d’une Turquie laïque.